L’imagination se manifeste dès l’enfance. Elle se développe rapidement et elle ne cesse jamais d’être active. Elle ne s’arrête que si nous n’éprouvons aucune sorte d’intérêt : comme nous sommes toujours mus par le vouloir vivre, elle ne s’arrête qu’à la mort.
Mais nous en sommes très inégalement doués. Tel en est presque dépourvu : il végète inerte, indifférent, sans intelligence comme sans volonté. Tel autre possède une imagination trop vive : il est le jouet de ses rêves. En tout cas remarquez que dans l’ordre des sujets auxquels vous vous intéressez, vous ne manquez pas d’imagination, et qu’inversement les sujets pour lesquels vous vous sentez de l’imagination sont ceux auxquels vous portez un intérêt.
Celui qui croit pouvoir , et devoir, se passer de l’imagination, c’est l’homme que les événements ont déçu. Il a, dit-on, “perdu ses illusions”.
Certes, la lourde main des circonstances s’appesantit parfois sur nous si cruellement, qu’elle étouffe nos espoirs et nos désirs d’entreprises, et que nous acceptons la vie telle qu’elle est, au lieu de chercher à l’améliorer. Mais le désespoir complet est exceptionnel. D’ordinaire une “illusion” succède à une autre illusion, comme un clou chasse l’autre. Il dépend de vous, sachez-le bien, que vos pensées ne soient pas de pures illusions.
Celui qui dit : “Où il n’y a pas vision, le peuple périt.” est vraiment un sage.
Sans idéal, sans ardeur pour réaliser cet idéal, une nation n’est qu’un troupeau, roué à devenir la proie de ses rivales.
Avec un idéal, avec une foi robuste en cet idéal, un peuple, même faible et persécuté, est indestructible. Les Croisades, la Révolution française sont des œuvres de “foi”, de cette foi qui “transporte les montagnes”.
Ce qui est vrai pour un peuple, l’est aussi pour l’individu. L’homme d’action est celui qui “marche à son étoile”, marche d’autant plus sûre qu’est plus nette la “vision” du rôle à jouer.
Ayez une vision, c'est ce qu'on conseille. Mais la vision doit être bonne. Il ne suffit pas qu’elle soit forte : il y a des illusions obsédantes. Il faut qu’elle soit compatible avec la réalité autrement dit réalisable.
La bonne vision, c’est l’imagination orientée dans le sens du réel, apte à le prévoir, à l’interpréter, à l’ordonner ; elle rend l’homme maître de son destin, sauf dans la mesure où peuvent survenir des événements imprévisibles.
La mauvaise vision, c’est l’extravagance du fou, l’exaltation du “visionnaire” qui raisonne en dehors de la réalité.
La bonne imagination, c’est la conception du possible, c’est-à-dire de ce qui trouve dans la réalité des conditions de réalisation. Remarquez d’ailleurs que les progrès de la science reculent les limites du possible. Nous demeurons incapables de prendre la lune entre nos dents, mais l’homme est devenu apte à voler dans les airs, quoique la nature ne nous y destinât point.
Napoléon, conçut une façon de concilier l’héritage de l’ancien régime et les conquêtes de l’esprit révolutionnaire : par le Code Civil et la centralisation administrative comme par des campagnes foudroyantes il incorpora dans les faits ce produit de sa pensée : l’Empire.
Vous pouvez imaginer de la même façon un grand avenir financier et commencer à travailler pour le réaliser, si telle est votre tournure d’esprit ; ou vous pouvez évoquer une vie qui serait faite d’avancements sûrs et progressifs ; mais il vous faut une “vision” si vous voulez obtenir de vos pouvoirs le maximum de puissance.