Avant toute chose, il importe que celui qui veut conquérir ou reprendre la maîtrise de soi se rende un compte parfait de ses possibilités, de ses forces, de ses faiblesses.
Ce n'est pas sans cause que le Temple de Delphes portait cette parole, prise plus tard comme base de l'enseignement ésotérique de Socrate : "Connais-toi toi-même".
De nos jours, cet enseignement est aussi nécessaire. Plus nécessaire peut-être qu'il n'ait jamais été car nous vivons à une époque fiévreuse où peu de gens prennent le temps et la peine d’analyser leurs sensations, d'étudier leur caractère, de suivre le conseil donné par Apollon à ceux qui fréquentaient son Temple.
Certes, nous nous connaissons bien peu.
De ce manque d'analyse viennent la plupart de nos maux. Nous ne savons pas qui nous sommes. Nous obéissons – pour diriger cette personnalité si mal connue – à des lois, à des préjugés, à des modes même, qui peuvent avoir de bons côtés pour certains, qui sont funestes pour d'autres. Ne nous souciant ni de notre corps, ni de notre esprit, nous ne cherchons pas ce qui peut servir utilement leur équilibre.
De cet état d'ignorance où nous sommes, pour la plupart des règles de la vie normale, naissent les douleurs physiques et morales.
Ce laisser-aller est préjudiciable au corps, à notre vie personnelle comme à celle de nos descendants qui pâtiront, comme nous en avons souffert nous-mêmes, des règles de l'hérédité. Cette ignorance nous fait manger sans choix et sans mesure, abuser de tous les plaisirs, renoncer à toute hygiène. Des troubles en résultent dont nous sommes ensuite tout surpris, bien que rien ne soit plus naturel.
Nos négligences ne sont pas sans porter atteinte à notre esprit. Nous avons peine à lutter contre les opinions qui nous viennent du dehors. Nous prenons tout effort en haine.
Pour le cœur, nous nous desséchons dans un égoïsme douillet qui nous fait renoncer aux grands enthousiasmes. Le moindre changement dans cet état de choses nous semble le pire malheur. Nous en prenons un caractère tatillon et chagrin, exagérant outre mesure ce qui nous touche pour nous désintéresser des biens communs.
En un mot, nous restreignons notre horizon sentimental au point que nous fermons notre vue sur tout ce qui est grand, noble, digne de nous. Nous ne portons attention qu'à nos petites peines que nous devrions oublier, aussi bien pour notre bonheur que pour notre évolution.
C'est en conséquence de cet état d'âme que l'ignorant est toujours en proie à 1000 tourments, qu'il dorlote des peines minuscules quand elles ne sont pas imaginaires, qu'il se trouve en désarroi pour des vétilles, qu'il se rend malade réellement, pour ne pas gêner ses plus nuisibles appétits.
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