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 La dernière lettre d'un camionneur...

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Papyroutier
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MessageSujet: La dernière lettre d'un camionneur...   La dernière lettre d'un camionneur... Icon_minitime12/7/2007, 21:40

La dernière lettre d'un camionneur...


Citation :
Contexte raconté par Valérie Teshima

Le mont Steamboat est meurtrier. Tous les camionneurs qui empruntent la route de l'Alaska le savent et traitent donc cette montagne avec respect, surtout en hiver. Sur cette montagne, la route est sinueuse, glacée et bordée d'escarpements très abrupts. On ne compte plus le nombre de camionneurs qui y ont laissé leur vie, et beaucoup d'autres encore suivront leurs dernière traces.

Un jour, alors que je roulais sur cette route, je croisai des policiers de la Gendarmerie royale du Canada ainsi que plusieurs dépanneuses qui hissaient du fond d'un ravin ce qui restait d'une semi-remorque. Je garai mon camion et rejoignis les quelques camionneurs qui observaient en silence l'épave qu'on remontait lentement.

Un des policiers vint vers nous et dit doucement : "Je suis désolé. Le conducteur était déjà mort lorsque nous l'avons trouvé. L'accident a probablement eu lieu il y a deux jours pendant la grosse tempête. Il n'y avait pratiquement aucune trace sur la neige. C'est par hasard que nous avons aperçu des chromes briller au soleil".

Il secoua lentement la tête et fouilla dans une des poches de son parka. Tenez, les gars, vous devriez peut-être lire ceci. Je pense que le malheureux a survécu quelques heures avant de mourir de froid.

C'était la première fois que je voyais un policier aux yeux larmoyants. J'avais toujours cru qu'à force de côtoyer la mort et le désespoir, les policiers s'immunisaient en quelque sorte. Le policier s'essuya les yeux et me tendit la lettre.

En la lisant, je me mis aussi à pleurer. Chaque camionneur lut la lettre en silence, puis retourna sans dire un mot vers son camion. Les mots qu'elle contenait sont restés gravés dans ma mémoire. Les années ont passé, mais je me souviens comme si je la tenais encore entre mes mains.

La dernière lettre du camionneur en intégral

Décembre 1974

À ma tendre épouse,

Voici une lettre qu'aucun homme ne veut écrire, mais j'ai la chance d'avoir un peu de temps pour te dire ce que j'ai tant de fois oublié de te dire. Je t'aime ma chérie.

Tu avais l'habitude de me taquiner en disant que je préférais mon camion à mon épouse, car je passais plus de temps avec lui qu'avec toi. C'est vrai que j'aime cette machine de métal, elle a toujours été bonne pour moi. Elle et moi avons traversé des endroits périlleux et des moments difficiles. Elle était fiable pendant les longs voyages, sans compter qu'elle était rapide sur les routes droites. Jamais elle ne m'a laissé tomber.

Mais, sais-tu, je t'aime pour les mêmes raisons ! Peu importe les circonstances, j'ai toujours pu compter sur toi.

Te rappelles-tu mon premier camion? Cette vieille machine nous coûtait les yeux de la tête et rapportait à peine assez pour mettre du pain sur la table. Tu as dû trouver du travail pour que nous puissions payer le loyer et les factures. Tout l'argent que je gagnais était affecté aux réparations de ce camion, alors ton revenu nous permettait de manger et d'avoir un toit.

Je me rappelle avoir pesté contre ce camion. Pourtant, jamais je ne t'ai entendue te plaindre quand tu rentrais fourbue du travail et que je te demandais de l'argent pour reprendre la route. Et même si tu t'étais plainte, je crois que je n'aurais rien entendu, trop absorbé par mes propres problèmes pour me préoccuper des tiens.

Je songe maintenant à toutes les choses auxquelles tu as renoncé pour moi : les vêtements, les vacances, les réceptions, les amis. Jamais tu ne te lamentais et, je ne sais pourquoi, je ne pensais jamais à te remercier d'être ce que tu es.

Quand je prenais un café avec les gars, je disais toujours mon camion, ma semi-remorque, mes paiements. J'imagine que j'oubliais que tu étais mon associée même si tu n'étais pas dans la cabine du camion avec moi. C'est grâce à tes sacrifices et à ta détermination, autant qu'aux miens, que nous avons finalement eu les moyens d'acheter le nouveau camion.

Les mots ne peuvent décrire la fierté que me procurait ce camion. J'étais fier de toi également, mais sans jamais te le dire. Je tenais pour acquis que tu le savais déjà. Si seulement j'avais consacré autant d'heures à parler avec toi que j'en ai passé à polir des chromes, j'aurais peut-être eu la chance de te le dire.

Pendant toutes ces années où j'ai sillonné les routes, j'ai toujours su que tes prières m'accompagnaient en tout temps. Mais aujourd'hui, elles n'ont pas suffi.

Je suis blessé. Gravement. Je viens de parcourir mon dernier kilomètre et je veux te dire les choses qui auraient dû être dites tant de fois auparavant. Ces choses qui sont passées sous silence parce que j'étais trop préoccupé par le camion et le travail.

Je songe à toutes les occasions manquées, fêtes et anniversaires. Je pense aussi aux spectacles de l'école et aux matches de hockey auxquels tu as assisté toute seule parce que j'étais sur la route.

Je songe à toutes les nuits de solitude que tu as passées à te demander où j'étais et comment les choses allaient. Je songe a toutes les fois où j'ai voulu téléphoner seulement pour te dire bonjour, sans finalement le faire. Je songe à la tranquillité d'esprit que me procurait l'idée de te savoir à la maison avec les enfants, dans l'attente de mon retour.

J'imagine toutes les réunions de famille où tu devais trouver mille excuses pour expliquer mon absence; j'étais occupé à faire une vidange d'huile; j'étais occupé à chercher des pièces de rechange; j'étais déjà couché parce que je partais tôt le lendemain. Il y avait toujours des raisons, mais elles m'apparaissent sans importance aujourd'hui.

Lorsque nous nous sommes mariés, tu savais à peine comment changer une ampoule électrique. Quelques années plus tard, tu réparais la fournaise pendant une tempête de neige tandis que j'étais en Floride à attendre une cargaison. Tu es devenue une bonne mécanicienne, au point de pouvoir m'aider à faire des réparations; j'étais extrêmement fier de toi lorsque tu montais dans la cabine et que tu reculais le camion le long des rosiers.

J'étais fier de toi lorsque j'arrivais à la maison et te trouvais endormie dans la voiture, m'attendant. deux heures du matin comme de l'après-midi, tu étais belle comme une vedette de cinéma. Sais-tu à quel point tu es belle? Je ne te l'ai pas dit dernièrement, mais c'est vrai.

J'ai commis beaucoup d'erreurs dans ma vie, mais j'ai pris au moins une bonne décision, celle de te demander en mariage. Tu n'as jamais vraiment compris pourquoi j'aimais mon métier. Je ne saurais le dire moi-même, mais c'étais ma façon de vivre et tu m'as appuyé. Beau temps mauvais temps, tu m'as toujours soutenu. Je t'aime, mon amour, et j'aime nos enfants.

Mon corps me fait mal, mais mon cœur me fait encore plus mal. Je ne reviendrai pas de ce voyage. Pour la première fois depuis que nous sommes ensemble, je me sens vraiment seul et j'ai peur. J'ai tant besoin de toi, mais je sais qu'il est trop tard.

C'est drôle, j'imagine, mais tout ce que j'ai, en ce moment, c'est mon camion. Ce damné camion qui a gouverné nos vies pendant si longtemps. Un amas de tôle tordue avec lequel et dans lequel j'ai vécu durant tant d'années, mais qui ne peut pas me donner de l'amour. Toi seule le peux.

Des milliers de kilomètres nous séparent, mais je te sens à mes côtés. Je peux voir ton visage et sentir ton amour. Mais j'ai peur d'affronter seul la mort.

Dis aux enfants que je les aime beaucoup et ne permets pas aux garçons de faire le métier de camionneur.

Chérie, je crois que c'est tout. Mon Dieu, comme je t'aime! Prends soin de toi et n'oublie jamais que je t'ai aimée plus que tout au monde. J'ai simplement oublié de te le dire.

Je t'aime. Bill
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